dites-moi que je rêve? (Jess)

Ce soir, je peux enfin me reposer. Je ne travaille pas et la majorité de mes colocataires ont déserté l'appartement. Ce n'est pas que leur présence me dérange, bien au contraire, mais Dieu seul sait à quel point certains d'entre eux peuvent être envahissants. Alors lorsque l'occasion d'être tranquille se présente, j'en profite. C'est plutôt rare, je dois l'admettre. Les joies de la colocation, que voulez-vous ?
Je regarde ma collection de cassettes VHS quelques minutes et je finis par poser mon choix sur Die Hard. Du pop-corn, des vêtements confortables et c'est parti ! Je m'installe sur le canapé, que dis-je, je m'affale carrément lorsque j'entends frapper à la porte. Je soupire, c'est impossible d'avoir la paix deux minutes. Je retrouve mon sourire lorsque j'entends sa voix. C'est elle, Ellie Jones. Finalement, ça ne me dérange plus vraiment d'être dérangé, plus du tout en fait. D'un bond, je me lève et j'ouvre la porte. Je lui adresse un grand sourire. "Je savais que tu ne pouvais te passer de moi bien longtemps, mais de là à déclarer l'état d'urgence, je crois que tu exagères, Jones." Je m'écarte de la porte afin de lui laisser l'espace nécessaire pour entrer. "Je t'en prie." dis-je en lui faisant un signe de la main.

Je l'observe sans prononcer un mot. Elle ne tarde pas à pleurer. Je l'enveloppe de mes bras instinctivement. "Calme-toi. On va trouver une solution." Bien que j'adore plus que tout au monde la taquiner, jamais je n'aurais osé lui voler son carnet de notes. Je sais à quel point c'est important pour elle. Et malgré les apparences, je tiens réellement à ce petit bout de femme. Un peu trop même. "Donne-moi ton sac, allez !" Avant même qu'elle n'ait le temps de réagir, je lui prends son sac et j'ouvre la poche avant: je tombe directement sur le cahier de madame. Je secoue la tête, amusé. Il faut croire que je la connais mieux qu'elle le pense. Dans son état de désespoir absolu, elle avait sans doute oublié de regarder dans ce petit compartiment de son sac. "Je crois que tu as besoin de te détendre, Jones. Ça tombe bien, le clown Jess est là pour ça. À ton service. " Je lui fais une grimace, mais je vois bien qu'elle demeure inquiète alors je poursuis: "Si il y a bien une chose dont je suis certain c'est que tu vas le réussir, cet examen. Haut la main, comme tous les autres." Si seulement elle pouvait croire en elle comme moi je crois en son potentiel. "Je te sers une bière avant que tu ne retournes à ta vie d'étudiante névrosée ?"

"Juste une, évidemment. Je n'ai pas envie de te ramasser à la petite cuiller à la fin de la soirée", dis-je sur le ton de la plaisanterie. Quoi que ce n'était pas tout à fait faux: avec tout ce stress et la fatigue accumulée, l'alcool n'aurait fait qu'une bouchée d'Ellie Jones. Lorsqu'elle me demanda si elle pouvait rester avec moi ce soir, j'ai cru rêver un instant. Compte tenu de mes sentiments de longue date à son égard, je savais pertinemment que ce n'était pas l'idée la plus raisonnable, mais je ne pouvais lui refuser. C'était plus fort que moi, plus fort que tout: cette envie de rester auprès d'elle. Les risques dans tout ça ? M'attacher encore plus que je ne l'étais déjà, si c'est seulement possible.
"Laisse-moi y réfléchir, Jones", dis-je en affichant un grand sourire. J'aimais bien, que dis-je, j'adorais la taquiner, la faire languir. Si seulement elle savait à quel point, elle ne m'aurait jamais fait cette proposition, celle de rester avec moi ce soir. "Bien sûr, tu peux rester. Tu sais bien que je ne refuserais jamais une occasion de te contrarier comme il se doit." Je m'éloigne pour aller chercher deux bières dans le frigo, puis je reviens à ses côtés et l'invite d'un signe de la main à venir s'asseoir sur le canapé. "Un film, ça te va?" lui proposais-je. Honnêtement, j'avais bien plus envie de discuter et, bien évidemment, de me chamailler avec elle.

La voici tout près de moi, cette femme qui me rend complètement dingue depuis l'âge de la raison, celle où l'enfant commence à avoir conscience de ses actes. D'aussi loin que je me souvienne, Ellie avait toujours fait partie de ma vie. Je me rappelais toutes les fois où, l'enfant garnement que j'étais, avait eu envie de lui effleurer les cheveux, mais les avait plutôt tirés. Cette envie n'avait pas disparu aujourd'hui. Et à cette distance, j'arrivais même à percevoir l'odeur fruité de sa longue chevelure brune. J'aurais bien voulu y engouffrer mes mains, mais c'était impossible. Bien que mes tactiques de qui aime bien châtie bien avaient évolué avec les années (non, je ne lui tire plus les cheveux désormais, quoique ça m'aurait plu dans des circonstances particulières, mais je m'égare sur un terrain glissant), j'éprouvais toujours un véritable plaisir à la provoquer gentiment, la voir sortir de ses gonds. "Laisse-moi en douter", dis-je lorsqu'elle me mentionna savoir se tenir. Que ce soit le cas ou non, ce soir ou qu'importe le soir, jamais je ne prendrais avantage de la situation. Une Ellie en état d'ivresse est et sera toujours en sécurité avec moi. "Te faire peur? Non mais, pour qui me prends-tu ? Je n'oserais pas ! " En réalité, elle n'avait pas tout à fait tort, pas du tout en fait, mais je feignis d'être vexé. "Tu vois l'étagère là-bas? Tu peux trouver la collection complète de tous les VHS de mes colocataires. Je te laisse même choisir le film. Tu vois, comme je suis merveilleux." Je lui tire la langue puis je prends une grosse gorgée de bière amère.

What's eating Gilbert Grape. J'approuve ce choix, mais je ne lui mentionne pas. Je ne veux pas qu'elle se vante de son répertoire filmographique. Je l'observe en silence lorsqu'elle met la cassette dans le lecteur. Je l'admire, en fait, pour être tout à fait honnête. Ellie Jones est sans contredit la plus belle femme qu'il m'ait été donné de rencontrer. Ça non plus, je ne lui mentionne pas. Il n'est pas question qu'elle sache à quel point elle fait fondre mon coeur et ce depuis la première fois que mon regard s'est posé sur elle. Lorsqu'elle vient s'asseoir près de moi, je ne peux m'empêcher de sourire bêtement. Tant pis si elle s'en rend compte ! Je suis si bien avec elle, tout simplement. Sans fla-fla. Sa simple présence suffit à me rendre heureux, à égayer ma soirée. "Bien sûr", répondis-je lorsqu'elle me demande si j'ai une couverture. Je me lève immédiatement afin d'aller chercher ladite couverture dans ma chambre. "Pour vous, madame." Je la couvre avec le long tissu en laine puis je reviens m'asseoir près d'elle. Je l'observe discrètement. "Je peux te demander quelque chose, Jones ?"

Elle me fixe avec ses magnifiques yeux verts et j'oublie littéralement ma question, l'espace d'un instant. Ressaisis toi, songeais-je en détournant le regard. À ce rythme-là, je ne pourrais résister bien longtemps à l'envie indomptable de l'embrasser. "Comment est-ce possible qu'on ne passe pas davantage de soirée comme celle-là, toi et moi?" Je repose mon regard sur elle, lui adresse un sourire. En effet, je connais Ellie depuis toujours, et malgré toutes les fois où on s'est chamaillé en public, nous n'avons jamais réellement passé de temps ensemble seul à seul. En vérité, je connais la raison. Du moins la mienne; celle qui me retient de ne pas effleurer son visage de mes grandes mains maladroites. J'avais toujours évité de me retrouver si proche d'elle afin de ne pas compliquer davantage la situation. Je ne pouvais me permettre de tomber amoureux de cette femme, elle était hors de ma ligue. Mais était-ce déjà trop tard ? J'évite de répondre à ma propre question, redoutant la réponse, puis j'attends avec impatience la sienne. Et surtout, je me demande: qu'est-ce qui la pousse ce soir à rester auprès de moi ? Je n'ose pas lui demander. Pas pour le moment.